Pline raconte que Néron regardait les combats de gladiateurs au travers d’une émeraude : était-ce pour mieux voir ou pour se protéger du soleil ?
En fait, ce n’est qu’au treizième siècle que Roger Bacon, jeune scientifique de l‘époque, observa en France, puis en Angleterre, la réfraction des rayons lumineux à travers les surfaces courbes et transparentes.
Dans le même temps, apparurent en Italie des petits objets, en forme de disque bombé comme des graines de légumineuse, que l’on appela sans trop d’effort d’imagination « lentilles ». Les premières étaient taillées dans le quartz ou le béryl, pierres particulièrement réputées pour leur pureté, avant que la technologie du verre de Venise permette de les fabriquer dans une matière parfaitement maitrisée et transparente. Les moines les tenaient devant un œil comme une loupe d’horloger pour déchiffrer et recopier les manuscrits, jusqu’au jour où, Gutenberg inventa l’imprimerie.
Puis, arriva le pince-nez qui permettait de lire des deux yeux, mais qui pesait sur le visage. Cet inconfort inspira le face à main mais ce n’est qu’à la fin du dix-huitième siècle que l’on eut l’idée de leur adjoindre des branches accrochées derrière les oreilles. Dans son roman Le Nom de la Rose, dont l’action se déroule au début du 15e siècle, Umberto Eco, écrit : « C’était une fourche construite pour tenir sur le nez d’un homme, comme un cavalier se tient sur le nez d’un cheval ou un oiseau sur son perchoir. Et de chaque côté de la fourche, de façon à correspondre aux yeux, s’arrondissent deux cercles ovales de métal qui enserrent deux amandes de verre épaisses comme des fonds de chope ».
Longtemps perçues comme un simple équipement de confort oculaire, les lunettes sont petit à petit devenues un accessoire de mode qui habille le visage, sublime le regard et permet de le dissimuler derrière les verres teintés. Karl Lagerfeld dont on ne voyait quasiment jamais les yeux disait « Pour moi, les lunettes noires sont comme des ombres à paupière derrière lesquelles le monde est plus beau et qui vous rajeunissent instantanément de dix ans ! ».
Objets de reconnaissance également pour Nana Mouskouri, Isabelle Adjani, Audrey Hepburn, Woody Allen, John Lennon, Elvis Presley et bien d’autres, elles ont fleuri au Festival de Cannes sur les stars et starlettes voulant se protéger des flashs de paparazzi et sur les podiums des défilés de mode, porteurs des sigles les plus prestigieux. Aujourd’hui, aux côtés des montures de correction, elles sont des accessoires à part entière, mais seront-elles un jour les seuls vestiges des lorgnons, alors que la chirurgie réfractive ? Celle-ci promet en effet une vie sans lunettes grâce à la mise au point de lasers spéciaux permettant de diriger le trajet des rayons lumineux à travers la cornée pour les focaliser sur la rétine.
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