Alors que Paris est accablé par la pandémie, les embouteillages et les chantiers, mon immeuble a lui aussi commencé à s’agiter, non seulement sous l’impatience de ses habitants, mais sous la chute sur le trottoir de quelques plaques de marbre, touchées par les ans.
Une intervention urgente s’imposait, mais il fallait prendre des précautions particulières pour éviter un accident qui aurait pu s’avérer très grave. En effet l’édifice, construit en 1961 sur le boulevard Lannes, à deux pas du Bois de Boulogne, par le célèbre architecte Jean Ginsberg, dans le style avant-gardiste de son époque, est composé de cinq bâtiments de 9 étages qui, sous leur austérité extérieure, cachent des appartements confortables et des jardins intérieurs, mais dont la façade lisse (ornée de plaques de bronze signées de Vasarely), est dépourvue du moindre appui.
Et voilà qu’en pleine ville, sous l’œil ébahi des habitants et des passants, on a vu des cordistes casqués, harnachés, et sanglés s’accrocher aux murs extérieurs tels des alpinistes sur le Mont Blanc, pour y plaquer des filets de sécurité.
Incroyables ces professionnels du bâtiment qui travaillent à des hauteurs vertigineuses. Tous ont passé les formations obligatoires et réglementaires , leur permettant de travailler en hauteur en qualité de cordistes.
Ils interviennent sur toutes les constructions et ouvrages d’art, inaccessibles par les moyens traditionnels, tels que viaduc, pont suspendu, grue, téléphérique, flèche de cathédrale, barrage, tour ou monument. Parmi eux, des restaurateurs d’œuvres d’art, des maçons, des vitriers, des électriciens… et pour tous, cordes, baudriers, sellettes, poignées autobloquantes, mousquetons, indispensables à leur métier acrobatique car ils s’engagent à respecter des consignes de sécurité très strictes.
La France compte aujourd’hui quelque 8500 cordistes, dont seulement 2% de femmes (3 d’entre elles ont participé au championnat de France des cordistes) et j’ai eu la chance d’en rencontrer une !
Elle s’appelle Marie-France et je l’ai découverte avec stupeur l’autre matin en remontant mon store roulant. Accrochée à sa corde, comme un petit oiseau à sa branche, elle était en train d’emmailloter les montants de ma baie vitrée !
Nous avons échangé quelques mots et je lui ai proposé un café. Elle a manœuvré son harnais pour se bloquer à ma hauteur et nous avons commencé à papoter comme si nous nous trouvions dans des fauteuils ! Elle m’a raconté avoir exercé d’autres métiers qui ne lui apportaient aucune satisfaction. Après avoir été garde-malade, vendeuse et maraîchère, elle, qui n’a jamais fait d’alpinisme de sa vie, n’a été heureuse que le jour où l’ANPE lui a proposé un stage de formation de cordiste qui a boosté sa vie d’un brin d’adrénaline. Même s’ils ne lui épargnent rien, les mecs respectent son courage et son travail.
Aujourd’hui, elle s’éclate enfin ! Car « elle en a sous le casque » Marie-France !
MONIQUE