L’histoire du caoutchouc débute dans la forêt amazonienne (Brésil, Pérou, Bolivie, Guyane, Colombie) bien avant la fin du quinzième siècle, où les expéditions de Christophe Colomb permettent de découvrir l’hévéa, une espèce inconnue en Europe. Cet arbre élégant peut atteindre plus de trente mètres de haut et jusqu’à un mètre de circonférence. Il a une écorce grise, des feuilles épaisses et des petites feuilles rassemblées en grappes, qui se renouvellent chaque année.
En langue quechua, il est appelé « l’arbre qui pleure» (« cao » pour bois et « tshu » pour larmes) car lorsqu’il est blessé, il s’en échappe une résine blanchâtre qui se répand à l’extérieur, enveloppe toute sa surface et forme en séchant une barrière protectrice qui le garde à l’abri de l’humidité. Il s’agit du latex, ou caoutchouc. Pour récolter la précieuse matière, les saigneurs entaillent le tronc avec une serpette et recueillent le liquide visqueux dans une coupelle.
Un savant français, Charles Henri de la Condamine, encyclopédiste du 18e siècle, fervent de botanique, de zoologie et de géographie, premier scientifique à le découvrir sur les rives de l’Amazone, en rapporte quelques graines en Europe où un chausseur anglais, Samuel Peal, a l’idée de se servir de cette sève gluante, pour imperméabiliser des tissus utilisés pour protéger les montgolfières. Quelques années plus tard, l’anglais Charles Macintosh songe à confectionner les premiers manteaux de pluie qui portent encore son nom.
Au début du 19e siècle, des chimistes européens réussissent à obtenir la plasticité de la matière par un procédé de broyage et de pressage, après quoi, Charles Goodyear, invente fortuitement la vulcanisation (*), grâce à un extrait de latex accidentellement tombé dans une poêle chaude qui prend une consistance rigide lui assurant la stabilisation ! Une aubaine pour les industries naissantes du vélo et de l’automobile dont les roues, jusque-là garnies d’enveloppes rigides et vite usées, sont remplacées par des pneus gonflables imaginés par l’irlandais John Dunlop à qui l’on doit la chambre à air.
Il ne faut pas attendre longtemps pour stimuler la culture amazonienne, et pour que naissent, sous l’impulsion de Michelin, Firestone, Pirelli, GoodYear, et Dunlop, les premiers pneus démontables et gonflables, qui font flamber le cours de la gomme.
Les débouchés industriels sont devenus une manne que la seule Amazonie a du mal à alimenter et bientôt l’objectif est d’effectuer des plantations dans les pays asiatiques, chauds et humides. On exporte les graines en Europe d’où les pays détenteurs de colonies les envoient en Asie, pour créer des plantations où ils emploient la main d’œuvre locale. Pour les Français, il s’agit essentiellement du Tonkin, de la Cochinchine, du Cambodge et de l’Indochine, où s’effectue ce qu’on appellera « le rapt botanique du siècle ».
Du début du 19e siècle à la guerre de 14, c’est le grand essor des plantations, l’enrichissement des planteurs et il faut bien le reconnaître, une période de forte mortalité pour les coolies indiens chargés des durs travaux de défrichement.
Lorsque la Grande Guerre est déclarée, l’automobile est devenue un mode de transport moderne et innovant et les taxis de la Marne sont à l’appel pour sonner le déclin des voitures à chevaux. Les 600 taxis parisiens acheminent 3000 soldats ; les chars et les mitrailleuses partent au front, vent en poupe pour entrer dans l’Histoire, avant que la crise économique de 1929 suive l’évolution des cours de bourse catastrophiques.
Très atteints, les planteurs tentent, alors que les jeunes pousses arrivées à maturité ont déjà augmenté les surfaces de production, de redresser la barre mais ne font que provoquer une surproduction qui affaiblit encore le marché, tandis que la chimie ouvre la concurrence de nombreuses variétés de polymères adaptées aux nouveaux et multiples usages.
Avec la seconde guerre mondiale, naturel ou synthétique, le caoutchouc va à nouveau s’engager dans l’armement et la défense, puisque, entre autres, il a servi à construire les faux bateaux que les alliés ont envoyés dans le détroit du Pas de Calais lors du D.Day pour servir de leurres et faire croire aux Allemands que les alliés allaient débarquer à cet endroit de la côte.
Aujourd’hui, les plantations subsistantes sont visées non seulement par le développement de la pétrochimie, mais par la menace écologique qui accuse le latex naturel d’être coupable de déforestation massive alors que les élastomères dérivés du pétrole peuvent avantageusement le remplacer. Gageons qu’il restera irremplaçable pour les fabrications exigeant une grande pureté chimique, tels que les instruments chirurgicaux, et bien sûr qu’il ne nous privera pas de… nos chewing-gums !
(*) en hommage à Vulcain
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