Avons-nous perdu ce qui était autrefois la marque du génie français, l’esprit, grâce auquel nous étions passés maîtres dans l’art de la conversation?
On peut s’en inquiéter à l’ère d’une communication sociale portée davantage sur l’expression sans filtre des opinions, l’invective et l’anathème, que par le souci d’une confrontation réglée des points de vue.
Dans un petit livre intitulé L’esprit de conversation*, l’essayiste Chantal Thomas dresse le portrait de trois femmes célèbres pour leur salon où, durant trois siècles, s’est exercé cet art délicat, la marquise de Rambouillet, Mme du Deffand, et Mme de Staël.
Chantal Thomas cite en introduction de son ouvrage la remarque de Swift : « Peu de gens sont faits pour briller, mais il est au pouvoir de la plupart des hommes d’être agréables ». Le même auteur se plaignait déjà que l’art de la conversation se perdait « non par manque d’intelligence mais par excès d’orgueil, de vivacité, d’entêtement et par manque d’éducation ».
C’est que l’art de la conversation ne repose pas sur le seul souci de la forme et du beau langage, mais aussi et surtout sur le souci de l’autre. Dans cette conception, les sentiments d’autrui importent autant que nos propres opinions et il importe de les considérer avec un égal respect. C’est un art de la sociabilité.
La controverse n’est cependant pas exclue. Ainsi, pour Montaigne, la conversation » n’est pas aussi vigoureuse et généreuse si elle n’est querelleuse ».
Efforçons-nous donc de débattre sans mollesse mais aussi sans rudesse.
*Chantal Thomas, L’esprit de conversation, Rivages, petite bibliothèque Payot